Le terme « chamane » est emprunté à la langue des Toungouzes, un peuple qui vit encore aujourd’hui en Sibérie et au nord de la Chine. Le mot est introduit en occident dès le 17 e siècle et entre officiellement dans la langue française au milieu du 19 e . Pour la petite histoire, il existe deux hypothèses étymologiques, l’une ferait du chamane, « celui qui s’agite », l’autre « celui qui sait ». Si du point de vue linguistique il faut peut-être choisir, dans la pratique le fait est que bien souvent, le chamane s’agite pour savoir…
Au début des années 50, l’historien des religions Mircea Eliade a écrit un ouvrage qui reste aujourd’hui une référence en la matière : Le Chamanisme et les Techniques archaïques de l’Extase. Dans ce livre, il a scellé l’évolution moderne du terme « chamanisme ». Il ne se cantonnera plus à la Sibérie mais s’appliquera désormais à toutes les cultures où un membre de la communauté la sert en jouant un rôle de médiateur avec le monde des Esprits pour lui apporter des informations, permettre des guérisons, etc.

À partir de la fin des années 50, un anthropologue américain, nommé Michael Harner étudie le chamanisme sur le terrain d’abord en Amérique du Sud chez les Chuar puis les Conibo. Dans son livre référence, La Voie du Chamane, il raconte que ces derniers l’invitèrent à prendre de l’ayahuasca pour accéder au monde des esprits en lui expliquant que la seule manière d’apprendre, de comprendre leur manière de voir était d’expérimenter leurs rituels. Il s’exécute et vit une expérience puissante qui sera pour lui une révélation. Dès lors, il s’intéressera à toutes les variantes du chamanisme, en commençant par les pratiques de ses « compatriotes » Pomo et Salish de qui il va apprendre le pouvoir du tambour… À partir de cette époque, tout en poursuivant une carrière académique dans les plus grandes universités américaines, il va œuvrer pour rendre accessible la pratique chamanique aux occidentaux qui s’en sont coupées au fil des millénaires notamment sous la pression des pouvoirs religieux.
Au fil du temps, Michael Harner découvre des constantes dans l’ensemble des cultures qu’il étudie, un tronc commun de pratiques qu’il réunit dans ce qu’il appellera le core shamanism. Au milieu des années 80, il fonde la FSS (fondation for shamanic studies) dédiée à la préservation, l’étude et l’enseignement du chamanisme. Décédé en 2018, il est l’une des figures principales de la renaissance chamanique en occident. Ce qu’on appelle aussi le « néo chamanisme » est donc une jeune branche directement issu du tronc commun du chamanisme.
Ce tronc commun défini par Michael Harner et enseigné par la FSS peut se résumer ainsi : on peut entrer en contact avec le monde spirituel, en modifiant son état de conscience. Dans la plupart des cultures chamaniques, ces états de « transes » sont atteintes grâce, non pas à des substances psychotropes, mais à de la musique et le plus souvent des tambours. Chaque culture chamanique a sa propre cosmologie qui met en valeur tel ou tel aspect mais pour la plupart, le monde invisible, ce que Michael Harner nomme « la réalité non ordinaire », est perçu comme ayant trois niveaux. Leurs noms sont assez simples à retenir : le monde du haut, purement spirituel, est peuplé d’esprits transcendés, généralement sous forme humaine. Le monde du bas, lui aussi exclusivement spirituel, est peuplé d’esprits transcendés qui se présentent généralement sous forme animale. Et enfin, le
monde du milieu est celui de la matière dans lequel nous vivons mais élargi à sa dimension spirituelle plus ou moins invisible. Ce monde du milieu est peuplé lui aussi de toutes sortes d’esprits, incarnés ou non, qui la plupart du temps, ne sont pas transcendés.
Dans cette cosmologie, la différence entre un esprit transcendé et un esprit non transcendé, c’est que le premier, si vous faites alliance avec lui, va vous aider sans demander de répartie ; le second a en revanche ses propres désirs, ses propres projets et il va vous demander de négocier. Nous ne travaillerons, lors de l’initiation et d’une manière générale, qu’avec des esprits transcendés ou par leur entremise.

 

 

Lors d’un voyage chamanique au tambour, vous vivez un état de conscience modifié qui vous permet d’entrer en contact avec le monde spirituel. Avec cette technique, la transe chamanique permet une forme de dissociation. Au contraire de son pendant pathologique qui est hors de contrôle, cette forme particulière de dissociation induite et volontaire vous permet justement de toujours rester maître de l’expérience que vous vivez. Une partie de vous voyage, une autre l’observe, comme à distance, et peut décider à chaque instant de mettre fin au processus. Cette première rencontre avec cette forme du monde spirituel peut être spectaculaire ou très subtile, elle n’est de toutes façons qu’un premier pas sur un chemin que chacun est libre d’arpenter ensuite, ou non. Le sujet de l’expérience est aussi la seule ou le seul à pouvoir juger de ce qu’il en retire. Un regard extérieur peut vous aider à tirer un fil tenu pour aller un peu plus loin mais en dernier ressort personne d’autre que le sujet de l’expérience ne peut dire si elle lui parle.
Le chamanisme est un outil qui ouvre à l’intuition. Mais, aussi paradoxal que ça puisse paraître, c’est aussi un outil extrêmement pragmatique. Dans les contextes traditionnels, un chamane qui n’aurait pas de résultat probant serait un danger pour la communauté. S’il n’est pas capable de soigner, de savoir où est la nourriture, il sera remplacé… au mieux !
Dans nos vies quotidiennes aussi, le chamanisme doit être utile, répondre à nos besoins. A priori, on chasse peu et des professionnels de santé seront bien plus à même de soigner vos maladies et vos blessures qu’un chaman. Mais apprendre à dialoguer avec la part spirituelle de la réalité permet de se relier intimement avec la nature et de vivre différemment les bouleversements profonds que nous traversons. De ce point de vue, la pratique chamanique peut être de l’ordre de l’extra-ordinaire mais pas du surnaturel. Si ce qui arrive est incompréhensible, ça dit seulement quelque chose de nos capacités de compréhension.
D’expérience, je dirais que le chamanisme permet dans un premier temps de s’enraciner, d’apprendre à séparer le sacré du profane, de retrouver une capacité d’émerveillement, de gagner un espace de liberté, de souveraineté individuelle, etc. C’est en tout cas, ce que je souhaite partager.